L’eau est précieuse. Elle le sera de plus en plus face aux multiples agressions qu’elle endure et à l’évolution préoccupante du climat. « Changeons radicalement d’attitude mentale sur cette question. Dire que l’eau est l’affaire de tous, ne doit pas rester un slogan creux. C’est au contraire une des conditions de la continuité de la civilisation humaine », estime Arezki Berraki, ministre des Ressources en eau, qui s’est confié à El Djazaïr.com. « L’Algérie vu son climat semi-aride et aride est directement impactée par les changements climatiques. C’est pourquoi, une nouvelle stratégie, axée sur les ressources non conventionnelles, à l’horizon 2030, extensible à 2050, sera mise en place pour mettre fin aux coupures récurrentes d’eau dans certaines régions du pays », soutient-il.
El Djazaïr.com : Monsieur le ministre, vous êtes à la tête du département des Ressources en eau depuis janvier dernier. Quelles sont vos priorités d’autant que, dès votre prise de fonction, vous avez souligné qu’il y a beaucoup de défis à relever dans ce secteur stratégique d’autant qu’au cours de vos différentes visites sur le terrain, vous avez aussi souligné l’urgence et la nécessité d’un diagnostic?
Arezki Berraki : En effet. Les défis sont multiples et importants. Dès notre prise de fonctions à la tête du département des Ressources en eau, nous avons, en premier lieu, établi un constat et l’on s’est rendu compte, que malgré tous les efforts consentis en matière de réalisation d’infrastructures, on était trop loin de pouvoir atteindre des niveaux satisfaisants en matière notamment de mobilisation de l’eau potable, autant pour les ménages que pour l’irrigation. Autrement dit, beaucoup reste à faire.
El Djazaïr.com : Où se situe alors la faille ?
Arezki Berraki : Elle se résume, en premier lieu, en la spécificité du climat semi-aride à aride, de l’Algérie. Notre pays est de ce fait directement impacté par le réchauffement climatique. On risque d’ailleurs de connaître à l’avenir des situations plus critiques de stress hydrique si rien n’est entrepris d’ici là. Nous avons également établi que, durant les années précédentes, les efforts ont été concentrés beaucoup plus sur la gestion de l’offre que sur la demande. Je m’explique : beaucoup a été fait pour offrir de l’eau au citoyen au lieu de gérer sa demande. Autrement dit, on n’a pas travaillé sur le gaspillage, la consommation d’une manière globale mais et surtout des déperditions qui représentent près de 50% de la ressource mobilisée. Ainsi, il est impératif de lutter sans relâche contre le phénomène des fuites d’eau et on s’est fixé un objectif de réduire les pertes de 7 %, soit 200 millions m3, d’ici la fin de l’année. L’équivalent de cinq barrages. C’est aussi un volume supplémentaire qu’on appelle une quatrième ressource qui va être mise à la disposition des usagers. La solution optimale pour réduire ces fuites réside dans l’utilisation des nouvelles technologies, et l’association des citoyens dans le service public, avec le lancement d’une nouvelle application mobile « city leaks ». Le citoyen peut déclarer par le biais de cette application toute fuite d’eau dans n’importe quelle région du pays, en envoyant une photo par Internet. Les équipes d’intervention les plus proches des lieux se déplaceront pour réparer immédiatement la fuite. L’application permettra également au citoyen de suivre les opérations de réparation des fuites déclarées. Dans le même contexte, les consommations sont excessives dans certaines régions où elles avoisinent les 400 litres par habitant en une seule journée. C’est énorme. Dans l’agriculture aussi, l’on estime à 5% les quantités perdues dans l’irrigation, faute de systèmes modernes et efficaces.
El Djazaïr.com : C’est l’un des axes prioritaires de votre stratégie ?
Arezki Berraki : Absolument. Notre stratégie porte aussi sur l’amélioration du service public en matière d’accès à l’eau potable et d’assainissement. C’est un axe majeur et prioritaire du gouvernement qui englobe aussi bien la satisfaction des citoyens consommateurs et/ou usagers que l’amélioration notable et substantielle des indicateurs de gestion technique et commerciale. Et là, l’occasion m’étant donnée, si vous permettez, je reviens sur ce qui s’est dit et se dit quant à une éventuelle révision de l’actuelle tarification de l’eau qui n’est pas à l’ordre du jour. La priorité est d’améliorer le service afin d’assurer l’eau aux Algériens mais aussi de faire face aux changements climatiques. Le programme du secteur de l’eau est aussi, axé autour de la volonté de garantir un accès à l’eau à l’ensemble des citoyens et d’améliorer ce service public, le hisser à un haut niveau notamment à travers une alimentation en eau quotidienne et continue
El Djazaïr.com : Selon une étude récente, la disponibilité en eau courante a diminué de 60 % depuis quarante ans en Afrique du Nord. La modification de la pluviométrie liée au réchauffement climatique, le mauvais entretien du réseau et l’insuffisance d’infrastructures d’épuration sont en cause dans cette impasse inquiétante, qualifiée par les experts de stress hydrique. L’Algérie est-elle concernée ?
Arezki Berraki : Comme souligné auparavant, l’Algérie, vu son climat semi-aride et aride, est directement impactée par les changements climatiques. C’est pourquoi, une nouvelle stratégie, axée sur les ressources non conventionnelles, à l’horizon 2030, extensible à 2050 sera mise en place pour mettre fin aux coupures récurrentes d’eau dans certaines régions du pays. Ces dernières années la pluviométrie a connu un sérieux recul, donc, il faut mobiliser les ressources qui ne sont pas impactées par les changements climatiques notamment le dessalement, les eaux épurées et aussi la banalisation des eaux du sud. L’objectif premier de cette stratégie est d’équiper toutes les villes du littoral de nouvelles stations de dessalement à l’instar d’Alger qui aura deux autres stations pour assurer l’approvisionnement en eau potable à l’est et à l’ouest de la capitale sans aucune rupture. Il y aussi la réutilisation des eaux épurées dont on compte augmenter la capacité de deux à trois milliards m3. 92 % de la population habite sur la bande nord du pays, c’est donc là que l’effort doit être mené. Et parlant de population, nous serons 50 millions d’Algériens d’ici 2030. Ceci dit, les besoins en eau potable vont croître. Selon les spécialistes, l’on aura besoin de 25 milliards de mètres cubes d’où la question : comment pourrions-nous garantir de l’eau à tout le monde. C’est dire que la diversification de la ressource est impérative et non un choix.
El Djazaïr.com : Les pluies abondantes enregistrées ces derniers mois ont contribué à l’augmentation des réserves des barrages. Peut-on donc s’attendre à un été sans encombre ?
Arezki Berraki : Soyez-en rassurés. L’Algérie, disposait de réserves hydriques suffisantes pour satisfaire aisément les besoins des citoyens durant cette année. Le volume des eaux en réserve, tant au niveau des barrages qu’au niveau des stations de dessalement et même de la nappe phréatique, est suffisant pour répondre aux besoins des citoyens durant l’année en cours.
El Djazaïr.com : Certaines régions du pays vivent un véritable calvaire pour leur approvisionnement en eau. Quelle est la stratégie adoptée par votre département ministériel pour que l’eau coule dans les robinets de tous les Algériens ?
Arezki Berraki : Les engagements du président de la République Abdelmadjid Tebboune ont été clairs à ce sujet. Mettre un terme définitif aux coupures d’eau et garantir à tous les citoyens l’accès à l’AEP sur l’ensemble du territoire national à travers une mobilisation plus efficace des ressources hydriques et la mobilisation des moyens de distribution et d’utilisation de l’eau constitue une priorité des pouvoirs publics et en haut lieu. Á ce propos, les responsables du secteur ont été instruits pour concrétiser les améliorations notables sur le volet managérial, d’engager une lutte sans relâche contre les fuites d’eau. Pour y mettre fin, il faut qu’il y ait également des modèles économiques de sociétés de gestion du service public fiables. Á ce sujet, rappelons le déploiement en cours d’un système de géolocalisation sur l’ensemble du territoire national. Lancé à partir de Bordj Bou Arréridj, le premier projet de télémesure du service public de l’eau est un système numérique qui sera généralisé à travers le territoire national. Il permettra la maîtrise de la distribution et de la maintenance du secteur en offrant au citoyen la possibilité de participer à la détection des fuites et leur géolocalisation. En Algérie, par le passé, le service de l’eau scindé en deux : l’assainissement et l’eau potable. Disons que la création de l’ONA était une décision précipitée, bien qu’à l’époque elle ait été justifiée par le rattrapage du grand retard qu’on avait connu en matière d’assainissement. Conséquences : l’assainissement émarge sur les factures de l’eau potable. Aussi, quand on a deux services, il nous fallait beaucoup plus de moyens et de charges. Une réflexion est d’ailleurs entamée portant révision organisationnelle de tous les établissements sous tutelle, le but étant de mutualiser les dépenses mais aussi de garantir un service public de l’eau fiable.
El Djazaïr.com : Donc, Monsieur le ministre, l’ONA disparaîtra du paysage ?
Arezki Berraki : Disparaître, non. Mais l’organisme sera absorbé et/ou fusionné. Nous y communiquerons le temps opportun.
El Djazaïr.com : On vous laisse le soin de conclure Monsieur le Ministre…
Arezki Berraki : Avant tout, mes remerciements pour cette occasion qui m’est offerte afin de m’exprimer sur ce secteur stratégique que sont les ressources en eau. Et comme je l’ai toujours dit : parmi tous les facteurs constitutifs d’une vie saine et équilibrée, il en est un qui mobilise toutes les attentions et toutes les passions des hommes : l’eau. Cette vérité d’évidence n’est pas propre à l’Algérie. Partout dans le monde, les esprits s’échauffent et les conflits s’exacerbent. C’est dire l’enjeu, ou plutôt les enjeux et les convoitises qui se dissimulent souvent derrière ce mot « simple » de trois lettres.
F. H.