Transition toute faite. A quel niveau faut-il apporter des réformes pour contribuer dans la prévention des dysfonctionnements du système de soins dont la nature varie forcément en fonction des pays. En effet, chaque pays a ses propres réalités qui sont intimement liées à son niveau de développement, lui-même liée à ses performances économiques. La meilleure des stratégies est celle qui permet de procurer le meilleur rapport coût/rentabilité. Avant d’aborder cet aspect, il est important d’énoncer quelques principes afin de pouvoir mener au mieux les réflexions et de justifier les propositions qui seront faites tout au long de cet exposé. Une médecine performante a pour principal objectif de produire, dans une ambiance sereine pour le patient et pour le personnel soignant, un soin de qualité, lui-même le résultat d’une interaction entre :
– un niveau scientifique en constante progression grâce à une formation de qualité de l’ensemble des intervenants, tous corps confondus, dans le système de soins ;
-une recherche adaptée en fonction des besoins d’un pays ;
-une administration forte, en adéquation parfaite avec les différents aspects de cette discipline afin d’encadrer d’une manière efficace et performante la réalisation des objectifs ;
– une industrie pharmaceutique en constante progression tant sur le plan de la recherche scientifique que sur celui économique.
Avant d’aborder le fond du problème, il est important d’apporter quelques éclaircissements sur chacun de ces différents maillons de la production du soin :
– dans le monde de la santé, une recherche adaptée a pour but d’enrichir et d’améliorer nos pratiques à partir de nos propres travaux, après les avoir comparés à ce qui se fait de mieux dans le monde ;
– un niveau scientifique en constante progression nécessite la mise au point :
* Des critères d’accès des formateurs aux postes de responsabilité, notamment à celui du chef de service, adaptées aux objectifs d’un soin de qualité : capacités de management, capacités d’encadrement des différents corps en formation activant dans les services (étudiants en médecine, résidents, maitres assistants, MCA et MCB) et projets pour les services dont ils ont la responsabilité.
*Des organigrammes d’activités pour les étudiants, le personnel paramédical, les résidents et les corps hospitalo-universitaires en formation (maitres assistants, MCA et MCB) qui doivent être :
° journaliers pour ce qui est de leurs activités médicales dans les services formateurs,
° hebdomadaires pour ce qui est de leurs activités universitaires,
° annuels quant à leurs systèmes d’évaluation et de progression.
– la sérénité autour de la production passe d’abord par une compréhension de la différence qui existe entre la compétence et l’expertise :
* La compétence correspond à une maitrise technique d’un des domaines de la médecine, comme maitriser une méthode diagnostique, une technique de radiologie interventionnelle ou une technique chirurgicale après avoir reçu une formation dans ce domaine.
* L’expertise, quant à elle, permet à travers un système d’évaluation continue, de mesurer l’interface politique, sociale et économique de la spécialité médicale dans laquelle on active. Ainsi, elle permet d’être en adéquation avec les orientations politiques du pays, de satisfaire la demande sociale moyennant le meilleur rapport possible entre la qualité des soins et leurs coûts. Toute cette dynamique aura pour buts de créer le circuit des soins le plus fluide possible afin de permettre aux patients d’accéder aux soins dans les plus brefs délais, et dans les meilleures conditions possibles.
Afin d’avancer dans la démarche, il est intéressant de se focaliser sur les problèmes soulevés par les médecins résidents durant la grève de l’année 2018, et d’en faire une synthèse qui permettra à coup sûr de comprendre une partie des problèmes que vit la santé en Algérie.
a/Synthèse de leurs revendications :
Leurs revendications pourraient être regroupées en quelques points :
1-Service civil :
*durée du service civil : 1 an dans le sud et 2 ans dans le nord,
*ouverture de postes pour toutes les spécialités, y compris les spécialités fondamentales, pharmaceutiques et biologiques,
*assurer un logement pour les médecins spécialistes affectés à l’intérieur du pays ou attribuer une prime de location,
*envoyer à l’intérieur du pays des groupes homogènes de médecins,
*équiper les hôpitaux par des plateaux techniques bien définis pour chaque spécialité,
*réserver un budget pour la FMC et les activités scientifiques,
*le droit à l’activité lucrative pour tous les médecins activant sur l’ensemble du territoire algérien.
2- Formation pédagogique
*Cheklist des objectifs pédagogiques théoriques et pratiques pour chaque résident,
*support théorique validé par le CPRS,
*réviser les modalités d’évaluation
*Apprentissage pratique par visioconférence et par jumelage avec les facultés nationales et internationales.
3-Réviser le statut des résidents
b/Questions à poser
1-Quelle est la place des résidents dans cette approche multidimensionnelle et de quoi est fait leur quotidien durant leur période de formation ?
2-Comment ce quotidien est-il perçu par le résident ? Quelles sont les choses que l’on peut améliorer dans ce quotidien ?
3- Quel est l’environnement qui a favorisé la survenue de cette grève et les revendications des résidents sont-elles justifiées ?
Avant de répondre à toutes ces questions, il est important de rappeler que leurs revendications portent sur leur présent (formation, pédagogie, statut de résident) et leur avenir en tant que médecin spécialiste (service civil, condition de travail, service militaire), celles-ci étant évidemment liées au profil de leur carrière. Pour schématiser le profil de la carrière du résident, on dira que son statut ressemble à celui d’une banque de données exploitable dans le moyen et le long terme, celle-ci étant alimentée par la formation reçue durant son cursus et la participation aux travaux de recherches qui constituent des moments importants dans le développement de son niveau dans la spécialité qu’il a choisie. Pour mieux comprendre les problèmes qui ont été soulevés par les résidents, il est important d’analyser l’étape de graduation qui leur a permis d’obtenir le diplôme de médecin généraliste, les conditions de leur formation de médecine spécialisée et les aptitudes qu’ils auront à acquérir pour pouvoir constituer un véritable vivier à partir duquel on pourra assurer la relève hospitalo-universitaire.
Formation en graduation.
Cette étape revêt une importance capitale car elle conduit à la formation des médecins généralistes, qui constituent un véritable soutien à un système sanitaire comme cela a été le cas durant cette épidémie Covid-19. Elle permet également de doter le médecin résident de toutes les aptitudes qui lui permettront de rentabiliser au mieux sa formation spécialisée. Ainsi il apparait important de zoomer sur cette partie du cursus pour essayer d’en combler les lacunes et d’améliorer la contribution du médecin généraliste dans le système de soins. De l’avis de tous les experts pédagogiques, les médecins généralistes rencontrent des difficultés certaines dans l’exercice de leur métier, en particulier ceux exerçant dans les polycliniques, en dehors de tout encadrement hospitalo-universitaire. Ces difficultés trouvent une grande partie de leurs explications dans le cursus de graduation. Actuellement, la durée de formation du médecin généraliste est de 7 années comportant une année préparatoire, 1 année préclinique, 4 années de formation clinique et 1 année d’internat comportant 4 stages pratiques (médecine + chirurgie +pédiatrie +gynécologie obstétrique). Toutes ces années de formation ont pour but de développer chez le futur médecin les aptitudes qui lui permettront de contribuer dans l’apport de la sérénité autour du soin par le diagnostic des maladies, leur traitement et leur suivi. Au terme de sa formation de graduation, durant laquelle il va passer en revue toutes les spécialités sous forme de modules ou d’unités, le futur médecin est censé devenir capable, dans une consultation de moins de 20 minutes, de décrire, d’analyser et de synthétiser les problèmes posés par son patient et de proposer un projet de prise en charge pour son patient. Ce challenge semble difficile à atteindre en raison d’une durée insuffisante des modules pour permettre à l’étudiant d’apprendre, de maitriser et de capitaliser. Cette difficulté est accentuée par l’absence d’un espace-temps réservé au travail de synthèse théorique et pratique. Les experts en pédagogie rapportent que les adultes se rappellent : 10% de ce qu’ils lisent, 20% de ce qu’ils entendent, 30% de ce qu’ils voient, 50% de ce qu’ils entendent et voient, 70% de ce qu’ils disent, 90% de ce qu’ils disent et font. En plaisantant, l’interne en médecine se définit comme un externe qui a tout oublié en raison des nombreuses difficultés, et dans différents modules, rencontrées par ses futurs médecins généralistes qui arrivent au stage d’internat.
Pour pallier ces insuffisances, il parait important de faire une réflexion sur la création d’un espace-temps en période de pré-internat afin de permettre à l’étudiant de :
– capitaliser les informations acquises : apprendre à décrire, analyser, synthétiser ;
– apprendre à rentabiliser en pratique courante les informations acquises ;
– faire face aux situations complexes : origine multifactorielle d’un problème.
D’autres mesures apparaissent comme nécessaires :
• réfléchir sur un meilleur dosage des programmes et non sur une surcharge des programmes de telle manière à ce que l’apprentissage des outils les plus utilisés en pratique courante dominent le programme, et occupent plus d’espace-temps,
• établir un programme en fonction des insuffisances notées chez les étudiants, et après concertation entre les différentes spécialités intervenant dans l’enseignement d’un module,
• insister sur les questions de synthèse,
• illustrer le programme par des cas cliniques,
• enrichir le programme par des thèmes permettant l’amélioration de la qualité de l’exercice médical : relation médecin malade ; Quel discours tenir au malade et à son entourage ?
Formation de post-graduation (résidanat)
Durant sa formation, dont la durée varie entre 4 et 5 ans selon la spécialité, le résident bénéficie d’une formation pratique durant laquelle il accompli plusieurs tâches (activités dans les services d’hospitalisation, consultation, participation dans les explorations et les activités opératoires), d’une formation théorique (planchage et conférences) et d’une formation mixte sous forme de colloques au cours desquelles il est censé apprendre comment utiliser les données théoriques acquises pour régler les problèmes de ses patients. On comprend aisément que la rentabilité d’un résident en voie de spécialisation devient acceptable à partir de la 3e ou 4e année de résidanat. Tout ce parcours, globalement respecté dans la forme, pose dans le fond plusieurs problèmes susceptibles d’expliquer le recours des résidents à la grève de 2018. Sur le plan pédagogique, la non-disponibilité de documents de référence représente une des réalités qui influencent négativement la formation théorique et la qualité de leur prestation sur le plan pratique durant leur période de formation. A titre d’information, le résident se voit dispenser durant son cursus près de 250 cours en moyenne qu’il est censé, selon le système actuel, lui-même rédiger. Sachant que la rédaction d’un cours requiert pour un enseignant qui maitrise la question près d’un mois, on imagine que la durée d’une rédaction correcte pour un résident est d’au moins le double. Si on multiplie le nombre de cours par au moins 2 mois de préparation, on arrive à une durée d’au moins 500 mois, soit près de 40 ans de préparation. On devine aisément la tension que peuvent créer la préparation des cours et des examens de fin d’année, ainsi que l’impact négatif que cela peut avoir sur la qualité de leur prestation de service dans la prise en charge des malades, notamment durant la période des examens. Un autre parmi les problèmes constatés est celui de l’absence d’un organigramme permettant de rentabiliser, en dehors de leurs activités classiques, leur quotidien durant toute la semaine, aussi bien sur le plan théorique que sur le plan pratique, notamment durant les deux premières années de leur formation. Ajouté à cela l’absence d’une politique clairement définie quant à leur implication dans les travaux de recherche et l’acquisition de nouvelles techniques. En se comparant avec ce qui se fait de mieux dans les pays développés, et avec le sentiment d’une formation comportant de nombreuses lacunes, les résidents sont devenus facilement manipulables, même si bon nombre de leurs revendications restent justifiés. Il est évident que les formateurs tiennent une grande responsabilité dans la genèse de cette situation, et qu’une remise en cause de la stratégie actuelle est inévitable si l’on veut apporter des solutions à tous ces problèmes. Toutes ces données doivent nous amener à comprendre que la solution est globale, et qu’elle doit porter sur tous les maillons de la formation du médecin résident.
Amélioration de la qualité de l’enseignement des résidents
Pour rappel, l’enseignement de résidanat est actuellement assuré selon les modalités suivantes :
– résidents des différentes années répartis entre 2 à 3 groupes dont l’enseignement est assuré par des enseignants différents, au niveau de terrains de stages également différents ;
– fixation des dates des cours pour les différents groupes selon un programme préétabli : une séance d’enseignement hebdomadaire au cours de laquelle 2 questions sont traitées par 2 enseignants différents ; Préparation et rédaction des cours par les résidents eux-mêmes ;
– les séances d’enseignement se déroulent généralement selon les modalités suivantes :
* Un test d’évaluation de 30 mn, composé de 10 rocs portant sur chacun des 2 cours
* Un question ouverte traitée par un parmi les résidents qui est choisi par les enseignants
* Présentation par les enseignants, après correction des rocs, des cours sous powerpoint
* l’absence d’une obligation faite à l’enseignant de remettre aux résidents un document pédagogique validé au préalable par le CPRS.
Ce système présente plusieurs inconvénients :
1- non homogénéité de l’enseignement dans la mesure où celui-ci est dispensé par des enseignants différents ;
2- le manque de préparation par les résidents des questions enseignées et les raisons d’un tel constat : temps de préparation insuffisant durant la semaine ? Absence de documents de référence validés par le comité pédagogique ?
3- la difficulté de procéder à une évaluation fiable des résidents.
Plusieurs propositions peuvent être faites dans le but d’homogénéiser l’enseignement tant sur le plan du document pédagogique, qui lui sert de support, que sur celui de son organisation. Concernant le document pédagogique de la spécialité, il apparait important de prendre les mesures suivantes :
*mise au point des documents de référence qui seront rédigés par les enseignants hospitalo-universitaires et validés par le CPN (Comité pédagogique national) ;
*rédaction de ces cours après concertation entre les différents enseignants qui les dispensent au niveau des différents terrains de stage ;
* rendre ces documents accessibles sur le Web ;
*utiliser les revues des différentes spécialités comme organe d’expression du CPN et appliquer à ces cours les règles d’une publication (expertise…). Cette approche a pour but de donner le plus de crédibilité possible à ces cours et de pousser les jeunes enseignants à apprendre les règles des publications ;
*élaboration d’un guide fixant les objectifs pédagogiques et les modalités de rédaction d’une question ouverte.
Professeur Mohamed El Amine Boudjella
Pour une Algérie engagée dans le développement et dans la
promotion de la paix dans le monde
A suivre…