Sonatrach n’est plus à présenter. Elle est à la fois le sang qui irrigue l’économie nationale et les poumons qui permettent au pays de respirer. Son rôle est d’autant plus vital que l’économie nationale reste largement tributaire de la rente des hydrocarbures. De sa propre bonne santé dépend donc celle de l’économie. Créée moins d’un an et demi après l’Indépendance, Sonatrach a connu un développement exponentiel en interne et à l’international où elle marque sa présence en Afrique, en Europe et dans les Amériques, devenant ainsi un major africain, la première entreprise d’Afrique et le 12 ème groupe pétrolier au niveau mondial. Mais cette évolution ne s’est pas faite sans soubresauts, notamment avec l’instabilité chronique de son management au sommet depuis le début des années 2000. Ce qui n’est pas sans conséquences sur sa bonne marche, ses intérêts et son image de marque à l’étranger. Elu en décembre 2019, le président Abdelmadjid Tebboune œuvre à remédier à cette préjudiciable valse des managers à la tête de la vénérable compagnie nationale. Le début d’une nouvelle stabilité de l’encadrement, comme durant les années Boumédiene, est peut-être venu. La nomination de M. Toufik Hakkar, un enfant de Sonatrach, issu de ses entrailles et qui en connait les arcanes, inaugure cette nouvelle ère de stabilité voulue par le chef de l’Etat. Le Nouveau PDG de Sonatrach nous parle dans cet entretien exclusif des nouvelles ambitions de l’entreprise et de l’énergie du changement qu’il porte.
El Djazair.com : Afin de faire face aux multiples défis économiques de l’Algérie, le groupe Sonatrach a vu ses autorisations de budget subir une coupe très importante. En quoi cette décision a-t-elle impacté le groupe que vous dirigez et quelle est la stratégie mise en place pour ne pas toucher les secteurs les plus importants ?
Toufik Hakkar : Dans un contexte international difficile, caractérisé par la crise sanitaire de la Covid-19 et la baisse des cours du pétrole brut, atteignant pour la première fois dans l’histoire des niveaux négatifs, les compagnies pétrolières ont opéré des réductions significatives de leurs investissements, motivées par l’impératif de sauvegarder leurs équilibres financiers et de renforcer leur résilience face à la crise du marché pétrolier et aux incertitudes liées à la reprise de l’activité économique et celle de la demande mondiale en pétrole. Devant cette crise et à l’instar de ces compagnies pétrolières, Sonatrach a revu à la baisse ses budgets d’investissement et d’exploitation pour l’année 2020, s’inscrivant en droite ligne avec les décisions prises par le gouvernement. A ce titre, nous avons réexaminé l’ensemble de nos projets et programmes inscrits au budget et procédé à leur priorisation en ne retenant que les projets et programmes incompressibles, nécessaires au bon fonctionnement de nos installations et à la sécurité de l’exploitation et des personnes, ainsi que les projets de développement ayant un impact direct sur la production et générant de la valeur à court et à moyen terme. Nous avons également réduit significativement nos dépenses d’exploitation, notamment à travers l’optimisation de nos achats, la rationalisation de l’utilisation de nos stocks et l’adaptation des services liés à nos opérations et à notre fonctionnement. Aussi, pour atténuer l’impact de cette révision sur nos filiales et leurs sous-traitants, nous avons opéré des ajustements permettant de maintenir un niveau d’activité régulier tout au long de l’année et de limiter sensiblement les impacts sociaux et financiers. Toutefois, la situation sanitaire et les mesures de protection prises par les autorités de tous les pays, telles que l’arrêt des transports terrestres et aériens, les restrictions sur le transport maritime et les mesures de confinement, ont contraint plusieurs de nos contractants et fournisseurs à déclarer la force majeure, impactant ainsi nos opérations et nos projets. Raison pour laquelle, nous avons pris des mesures pour maintenir un niveau minimum d’activité sur nos projets structurants et notamment dans l’engineering à travers la mise en place du télétravail et des réunions de coordination par visioconférence ; la réorientation des ordres d’achats d’équipements vers les pays où l’activité de fabrication n’a pas été interrompue et le maintien des ressources mobilisées sur chantier tout en faisant appel aux ressources locales afin pallier l’indisponibilité des ressources expatriées.
El Djazair.com : Sonatrach est devenue, depuis peu, l’actionnaire majeur de Medgaz. En quoi cela est-il important pour votre groupe ?
Toufik Hakkar : Comme vous le savez Sonatrach est actuellement reliée à l’Europe par trois gazoducs, le GEM (Gazoduc Enrico Mattei) reliant l’Algérie et l’Italie via la Tunisie, le GPDF (Gazoduc Pedro Duran Farrell) reliant l’Algérie et l’Espagne via le Maroc et le Medgaz reliant directement l’Algérie à l’Espagne à partir de la station de compression au départ de Béni Saf, jusqu’au terminal arrivée sis à Almeria. Avec l’acquisition de 19,10% des actions détenues par la compagnie espagnole Cepsa Holding dans la Société Medgaz, Sonatrach y est devenu actionnaire majoritaire depuis le 30 mai 2020. Elle augmente ainsi sa participation dans cet ouvrage à hauteur de 51% aux côtés de son partenaire historique Naturgy, détenant les 49% restantes. Le Medgaz, d’une capacité de transport de 8 BCM (milliards de mètres cubes), avec des prévisions d’augmentation à court terme pour atteindre les 10 BCM, est un actif hautement stratégique pour les exportations de gaz algérien vers l’Espagne. Il constitue un point d’accès au marché espagnol qui est un marché d’une grande importance avec une contribution de près de 40% dans les exportations de gaz par gazoduc.
Outre le fait qu’il représente un investissement sûr et rentable, cette alliance unissant un producteur et vendeur de gaz à un client final sûr, permettra de consolider nos parts de marché sur les marchés historiques, à travers des relations commerciales privilégiées et sans intermédiaire. En marge de cet aspect stratégique, l’accroissement des parts de Sonatrach dans la société Medgaz, permettra d’augmenter ses dividendes. A travers cette acquisition, Sonatrach renforce ainsi sa position en tant que fournisseur majeur et fiable de gaz algérien en Europe et plus particulièrement dans la péninsule Ibérique.
El Djazair.com : Comme tous les pays et tous les secteurs en Algérie, Sonatrach, a dû faire face à des sacrifices consistant en la libération de nombre de ses travailleurs pour cause de Covid-19. Après que la situation pandémique a été relativement maitrisée, vous avez annoncé que la reprise du travail se fera progressivement, voulez-vous être plus explicite ?
Toufik Hakkar : Tout d’abord, il est important de préciser que dès le début de la propagation du coronavirus, nous avons pris une série de mesures destinées à informer et à protéger nos travailleurs face à cette menace. A cet effet, nous avons mis en place une cellule de crise centrale, composée de hauts responsables chargés de suivre l’évolution de la situation et d’anticiper les actions à entreprendre dans ce contexte de crise sanitaire mondiale. Nous avons adopté un plan de continuité de l’activité impliquant un nombre minimum de personnel devant l’assurer dans les conditions sanitaires et de sécurité requises pour sa protection ainsi que celle du patrimoine de l’entreprise. Il a également été question de suspendre la relève du personnel des unités du sud, de limiter les accès au niveau des unités et bases de vie, de fermer les salles de restauration en déployant un mécanisme adapté de distribution des repas. Nous avons aussi décidé de réduire temporairement le flux de personnes et ce, par la mise en congé exceptionnel d’une partie du personnel de l’entreprise, en limitant le nombre de réunions de travail, en instaurant le télétravail, en réduisant le nombre des personnels des entreprises externes présents sur les sites de Sonatrach et en suspendant certains travaux non urgents. La reprise progressive, entamée dès le début du mois d’avril, a donc concerné en premier lieu le personnel soumis à la relève, qui a suivi un protocole particulier en termes de transport et de confinement systématique de 14 jours avant de pouvoir rejoindre les postes de travail. Un dispositif qui a mobilisé d’importantes ressources en matière de transport, de conditions de confinement et d’encadrement médical, mais qui a permis de libérer le personnel déjà en poste depuis plusieurs semaines et qui était arrivé au terme de ses capacités mentales à supporter l’éloignement familial. Le protocole de cette reprise s’est appuyé sur le principe de distanciation au niveau de tous les espaces communs. Aussi, pour accompagner notre démarche, nous avons prévu la mise à disposition des masques de protection et des tests de dépistage, qui constituent pour nous des leviers de prévention et d’anticipation susceptibles de nous procurer une meilleure capacité de maitriser la situation. La sensibilisation et l’adhésion du personnel ont joué un rôle important dans cette lutte, avec une mobilisation inédite à différents niveaux à travers des cellules de crise chargées de décliner les orientations de la Direction générale à l’ensemble des unités du Groupe Sonatrach et leurs Comités Hygiène et Sécurité (CHS) qui ont travaillé en étroite collaboration durant les différentes phases de cette crise sanitaire. Nous exprimons, à ce propos, toute notre reconnaissance envers notre personnel, plus particulièrement nos équipes médicales qui ont œuvré sans arrêt pour préserver la santé des travailleurs, ainsi que les partenaires et sous-traitants qui ont soutenu l’entreprise durant cette crise.
El Djazair.com : Nul n’ignore que Sonatrach est le premier recruteur en 2020 en Algérie, investir plus sur le capital humain et attirer les plus compétents est une stratégie menée par la compagnie, afin d’atteindre les objectifs fixés. Peut-on avoir des chiffres étayant cette approche ?
Toufik Hakkar : Malgré la conjoncture à laquelle Sonatrach est confrontée, caractérisée par la chute drastique des prix du baril du pétrole sur les marchés internationaux et la crise sanitaire liée à la Covid-19, il convient de souligner que la révision budgétaire opérée par l’entreprise, n’a pas concerné le plan de recrutement 2020. En effet, le recrutement permanent de 9 684 agents est inscrit au titre du Plan annuel et moyen terme 2020-2024.
Pour l’exercice en cours, 2 921 recrutements seront réalisés, dont 59% dédiés aux structures implantées dans les wilayas du sud. Ces recrutements concerneront, à hauteur de 83%, la population universitaire, principalement dans les fonctions cœurs de métier de Sonatrach.
Ainsi, 32% du total des prévisions 2020 ont été réalisés durant les quatre premiers mois, atteignant 928 agents. Il importe de signaler que 17 689 recrutements permanents ont été réalisés par Sonatrach durant les cinq dernières années, dont 11 060 suite à des formations de spécialisation. En sus de ces recrutements, le développement des compétences via la formation est au cœur de la stratégie de développement de Sonatrach. A juste titre, près de 5,2% de la masse salariale sont consentis annuellement à la formation du personnel, principalement dans les domaines liés à l’industrie pétrolière et gazière.
Dans un autre registre, plusieurs conventions-cadres ont été signées ou en cours de formalisation avec certaines écoles et universités visant, à la fois, la promotion de la marque employeur de Sonatrach, le renforcement des relations bilatérales dans les domaines technique, scientifique et technologique. Ceci en plus de l’organisation des cycles de formation de professionnalisation en vue d’améliorer l’employabilité des futurs diplômés et enfin, la sélection des meilleurs étudiants afin d’assurer le parrainage de ces derniers par un personnel qualifié de Sonatrach et leur recrutement selon des conventions-cadres tripartite (Sonatrach – ANEM – Universités) qui sont en cours de formalisation. En outre et par souci de transparence et d’équité, une plateforme dédiée au recrutement est en cours d’élaboration et elle a pour objet de permettre aux personnes désireuses de rejoindre Sonatrach de s’informer sur les postes vacants, les conditions de candidature ainsi que l’organisation des différents concours de recrutement. Il y a lieu de souligner que Sonatrach, soucieuse de son capital humain, a également lancé un projet de transformation RH qui repose sur la refonte de l’ensemble des processus de la fonction Ressources Humaines. La première étape de ce projet a été finalisée et elle a ciblé la formalisation des processus RH : Recrutement, gestion de la performance, gestion des carrières et développement des compétences.
El Djazair.com: Avec tout ce qui se passe dans le monde, la place prépondérante occupée par Sonatrach dans la vie de l’Algérie, les grands changements géostratégiques qui s’opèrent à grande vitesse, votre groupe doit s’adapter rapidement. Quelles sont les perspectives et les objectifs à atteindre pour que Sonatrach continue à assurer son rôle dans l’économie nationale ?
Toufik Hakkar : De par ses statuts, Sonatrach a pour missions la maximisation des revenus d’hydrocarbures du pays à long terme, la satisfaction des besoins nationaux en hydrocarbures et la participation au développement économique du pays. Aujourd’hui Sonatrach, groupe de 150 filiales et employant environ 140 000 personnes à travers le territoire national, assure ces missions et occupe une place de première importance dans l’économie nationale, mais également sur le plan régional. Préserver la place de Sonatrach dans l’économie nationale signifie avoir la capacité de continuer à investir dans des projets rentables permettant à la fois de satisfaire la demande croissante du marché national et de générer des revenus à l’export des produits d’hydrocarbures et leurs dérivés. Une équation, devenant de plus en plus difficile à résoudre. Le premier défi à relever consiste à améliorer nos performances dans l’amont pétrolier et gazier pour rester dans la compétition. Cela signifie découvrir plus de volumes à moindre coût pour renouveler nos réserves et compenser le déclin de nos gisements. Sur ce volet, nous nous sommes fixé l’objectif de doubler le volume annuel des découvertes et d’apporter de nouvelles techniques et technologies dans nos opérations de forage, d’exploitation et d’engineering du réservoir. Nous avons placé le partenariat comme axe stratégique permettant d’élargir le niveau d’investissement, de partager les risques et d’accéder à la technologie nécessaire pour découvrir et développer les gisements complexes. La nouvelle loi des hydrocarbures 19-13 donne suffisamment de flexibilité à Sonatrach pour attirer de nouveaux partenaires capables d’apporter le financement et la technologie nécessaires afin de garantir la maximisation de la valeur à long terme de nos ressources hydrocarbures. Un autre défi à relever consiste à créer des business models résilients face à la fluctuation des prix de l’énergie sur les marchés internationaux, par la diversification de notre portefeuille d’outils de valorisation, nous permettant de réduire notre exposition à toute baisse des prix. Pour ce faire, nous avons initié la révision de notre stratégie de commercialisation face aux tendances actuelles du marché, ainsi qu’un programme important d’investissement dans la pétrochimie visant à mieux valoriser nos charges, à sécuriser leurs débouchés et à créer de l’emploi et une industrie locale. Aussi, nous accordons une attention particulière au développement des ressources nouvelles et à la transition énergétique. Nous sommes déjà engagés dans l’offshore et dans des programmes d’énergie solaire au niveau de nos sites de production au Sud et dans le cadre de notre contribution au programme national. L’objectif étant de continuer d’assurer à long terme notre rôle dans l’économie nationale et de préserver notre position de fournisseur d’énergie fiable.
El Djazair.com: Début mai, le groupe Sonatrach et la société russe Lukoil ont signé un Mémorandum d’Entente (MoU) pour engager des discussions en vue d’identifier les possibilités pour les deux parties d’investir conjointement dans des opérations d’exploration et de production d’hydrocarbures en Algérie. En quoi consiste au juste ce mémorandum d’entente ?
Toufik Hakkar : Des « protocoles d’entente » (MoU, Memorandum of Understanding) ont été signés avec ExxonMobil, Chevron, Lukoil, Zarubezhneft et TPAO et d’autres sont à venir. Sonatrach détient un certain nombre de contrats avec Alnaft sur des périmètres couvrant des réservoirs complexes dont le développement nécessite des investissements lourds et surtout, le recours à des techniques et technologies propriétaires très avancées. Pour ces raisons, Sonatrach a entrepris de présenter certains d’entre eux à des partenaires potentiels pour les examiner et revenir vers elle avec une évaluation technique décrivant la manière dont ils pensent pouvoir développer ces gisements en utilisant leurs expériences et leurs savoir-faire. Une fois les discussions achevées, Sonatarch retiendra, à travers un contrat d’exploitation d’hydrocarbures, la meilleure offre de développement conjoint parmi les différentes propositions techniques et commerciales faites par ces partenaires. En définitive, c’est pour encadrer tout ce processus et définir les termes, les conditions, les domaines et les méthodes de coopération, que Sonatrach signe des « protocoles d’entente » (MoU) avec ces partenaires potentiels. C’est dans ce contexte, qu’un MoU a été signé, le 4 mai 2020, par Sonatrach et la société russe Lukoil en vue d’identifier les possibilités pour les deux parties d’investir conjointement dans les opérations d’exploration et de production d’hydrocarbures en Algérie. Ce mémorandum d’entente couvre également l’examen des opportunités d’exploration et de production à l’international.
El Djazair.com: Où on est-on avec l’étude pour l’aménagement des terrils de charbon de Kenadsa dans la wilaya de Béchar ?
Toufik Hakkar : Nous avons effectivement réalisé en 2009 un projet d’aménagement d’un terril de charbon dans le quartier Hai El Inara, dans la commune de Béchar. Ce terril, situé en zone urbaine a été transformé en un espace de détente, de loisirs et de sport au profit des riverains qui étaient auparavant exposés aux nuisances quotidiennes de ces amas de charbon. Le second objectif de ce projet, financé conjointement avec Sonelgaz, était de servir de pilote pour les autorités concernées afin d’entreprendre des projets similaires sur budget de l’Etat.
El Djazair.com: Nordine Ait-Laoussine, ancien ministre de l’Energie, a estimé, dans un entretien accordé au quotidien Liberté, que Sonatrach doit « s’adapter aux changements radicaux en cours dans l’industrie pétrolière internationale et doit repenser sa stratégie à long terme et améliorer sa compétitivité, notamment à travers l’adoption des nouvelles technologies digitales pour restaurer sa performance et réduire ses coûts opératoires ». Qu’en pensez-vous ?
Toufik Hakkar : Nous sommes en accord sur ce point. Nous savons que notre premier défi consiste à améliorer nos performances pour rester dans la compétition. Pour ce faire, nous avons engagé une réforme de nos processus organisationnels, une modernisation de notre système d’information et une refonte de notre système de management des ressources humaines. En matière d’organisation, nous avons revu nos processus de réalisation des grands projets et d’achats de biens et services dans le but de réduire les coûts et les délais. Nous avons également défini un vaste programme de réduction et d’optimisation des coûts à court et à moyen terme sur l’ensemble de nos segments d’activité. Dans un autre cadre, nous sommes en train d’implémenter un système d’information intégré (ERP) qui permettra de piloter l’entreprise à travers une vision intégrée et optimisée de l’activité, d’accélérer la prise de décision, de gagner en productivité et d’améliorer les performances, d’assurer une communication et une collaboration optimales, de réduire les coûts de gestion et d’exploitation et d’anticiper et réduire les risques par intégrité des données et contrôle financier. Nous avons également lancé des initiatives pour intégrer au fur et à mesure de nouvelles solutions digitales et d’intelligence artificielle au niveau de nos activités pétrolières et gazières. Nous avons à ce titre réalisé un centre d’innovation digitale et lancé un projet de création d’un hub de startups dans l’innovation digitale.
El Djazair.com: Alors qu’un scandale a éclaté au Liban, impliquant indirectement Sonatrach, le président de la République a ordonné au ministre de la Justice d’ouvrir une enquête et d’éclaircir le point concernant l’affaire du « carburant défectueux » vendu à une entreprise libanaise. Quel est votre commentaire ?
Toufik Hakkar: Sonatrach n’est pas impliquée dans cette affaire. Je ne crois pas utile de revenir sur la surmédiatisation de cette affaire libano-libanaise au premier chef. Il est vrai que la société SPC, filiale de Sonatrach, spécialisée dans le trading d’hydrocarbures et de produits pétroliers, a conclu un contrat avec le ministère libanais de l’Energie et de l’Eau pour fournir du fuel oil et du gasoil à un établissement public libanais à caractère industriel et commercial, dénommé « Électricité du Liban ». Il y a lieu de relever que le contrat liant la SPC au ministère libanais pour une durée de 15 ans reconductible tous les trois ans, n’a jamais connu d’incidents jusqu’à cette seule cargaison contestée au motif que ses spécifications n’étaient pas conformes aux spécifications contractuelles. Il faut savoir qu’il s’agit d’une cargaison de carburant qui a fait l’objet d’analyses par des bureaux d’expertise indépendants, lesquels ont établi qu’elle répondait fidèlement aux exigences contractuelles. Ce n’est qu’à l’arrivée à destination que le ministère libanais a demandé de nouvelles analyses. A présent que l’affaire est en justice, il y a lieu de laisser la justice faire son travail.
El Djazair.com : La nouvelle loi sur les hydrocarbures qui vient renforcer l’attractivité du secteur des hydrocarbures dans un contexte marqué par la chute des cours de l’or noir et la concurrence accrue entre les pays producteurs, permettra-t-elle d’attirer de nouveaux investisseurs ?
Toufik Hakkar : Sonatrach est très confiante quant à sa capacité à surmonter les effets combinés de la pandémie de la Covid-19 et de la crise des cours du pétrole, surtout que l’Algérie œuvre très activement avec les pays membres de l’OPEP+ pour trouver à chaque fois, des solutions à même de rééquilibrer l’offre et la demande du marché pétrolier.
La promulgation de la nouvelle loi sur les hydrocarbures vise à redynamiser ce secteur stratégique, considéré comme le moteur de l’économie algérienne et premier pourvoyeur du budget de l’Etat. La redynamisation du secteur des hydrocarbures s’est imposée parce que le cadre contractuel qui existait auparavant n’avait pas permis de le faire en dépit des ajustements qui ont été opérés à chaque fois (2006 et 2013). La loi n°19-13 prévoit des mesures incitatives qui ont vocation à attirer les investisseurs étrangers. D’ailleurs, un nombre non négligeable de grandes sociétés pétrolières ont manifesté un intérêt à venir investir en Algérie sous le régime de cette loi. Parmi les mesures incitatives que prévoit la loi, je citerai la diversité des formes contractuelles selon lesquelles le partenaire étranger pourra s’associer à Sonatrach, une meilleure lisibilité de la loi et du rôle de chaque intervenant (l’administration, les régulateurs et les opérateurs économiques), une fiscalité simplifiée et allégée. En parallèle, la loi a introduit plus de rigueur en matière de conservation des gisements et de respect de l’environnement. Tout cela fait que, tel que je l’ai dit, des sociétés s’intéressent déjà à notre domaine minier. En effet, depuis la promulgation de la nouvelle loi sur les hydrocarbures 19-13, Sonatrach a intensifié les discussions avec plusieurs grandes sociétés pétrolières et gazières, pour développer de nouvelles opportunités dans le domaine de l’exploration et de la production.
El Djazair.com : Quid du programme d’investissement actuel du groupe pour les cinq prochaines années ?
Toufik Hakkar : Dans le cadre de notre plan à moyen terme 2020-2024, nous avons prévu de consentir un niveau d’investissement de l’ordre de 45 milliards de dollars, dont environ 73% seront dédiés au segment exploration et production et 17% au segment raffinage et pétrochimie. En matière d’exploration-production et malgré la crise actuelle, Sonatrach mènera à terme ses projets de développement des gisements afin d’assurer les apports nécessaires en production d’hydrocarbures et procédera à l’optimisation de ses investissements en matière d’exploration en ciblant les meilleurs prospects pour assurer le renouvellement de ses réserves. Elle poursuivra également, en compagnie de ses partenaires, ses travaux d’exploration dans l’offshore et ses études dans le non-conventionnel afin de confirmer le potentiel existant. En matière de raffinage, et en vue de satisfaire à 100% les besoins du marché national en carburants, principalement en essences et en gasoil, nous comptons mettre en service à partir de 2024 la nouvelle raffinerie de Hassi Messaoud, d’une capacité annuelle de 5 millions de tonnes. Nous comptons également lancer la réalisation d’une unité de craquage de fuel de 5 millions de tonnes par an pour la production du gasoil au niveau de la raffinerie de Skikda. En matière de pétrochimie, nous nous sommes associés à la compagnie Total pour la réalisation, en partenariat durant ce PMT, d’une unité de déshydrogénation de propane et de production de polypropylène à Arzew et avec la société turque Ronesans, pour la réalisation d’un projet similaire en Turquie. Nous avons également inscrit d’autres projets, à l’instar de la réalisation en effort propre d’une unité de production de linéaire alkyl benzène (LAB) à Skikda et d’une unité de production de méthyltert-butyl ether (MTBE) à Arzew. Aussi, nous sommes en train de discuter et d’étudier, avec nos partenaires, la réalisation d’importants projets pétrochimiques de taille mondiale au niveau des plateformes industrielle d’Arzew et de Skikda pour la production de plastique, de méthanol et de phosphate. Ces projets, financés à hauteur de 70% par les banques, auront un impact considérable sur l’économie nationale. Ils nous permettront de mieux valoriser nos hydrocarbures, de satisfaire les besoins du marché national en produits pétrochimiques actuellement importés, d’apporter des investissements directs étrangers (IDE) par le biais d’investisseurs et de partenaires dans le cadre de joint-venture. Ils ont aussi pour objectif de créer des emplois directs et indirects, d’améliorer les compétences de la main-d’œuvre en augmentant la sophistication des produits et des techniques de transformation et également, de faciliter les investissements en aval et encourager les petites et moyennes entreprises en aval (PME), par exemple dans la transformation des matières plastiques.
El Djazair.com : Afin de garantir et d’améliorer ses recettes, Sonatrach a adopté une nouvelle stratégie consistant à adapter les délais des contrats pour s’adapter aux nouvelles données du marché du gaz. Peut-on avoir des éclaircissements relatifs à cette nouvelle stratégie?
Toufik Hakkar : Depuis quelques années, les marchés gaziers ont subi un changement spectaculaire. En raison de l’émergence de nouveaux pays exportateurs et de la multiplication des acheteurs, le marché du gaz naturel est devenu plus liquide avec plus de volumes négociés sur le marché spot et l’élargissement des référentiels des prix. En conséquence, les acheteurs se trouvent moins contraints à chercher à sécuriser leurs besoins à travers des contrats à long terme, dont il y a lieu de souligner qu’ils sont toujours largement adoptés pour permettre, d’une part, de rentabiliser les investissements en amont et en aval consentis par le vendeur et d’autre part, de sécuriser et de diversifier les sources d’approvisionnement pour les acheteurs. A cet effet, Sonatrach a veillé à diversifier ses contrats en termes de durée, de manière à saisir toutes les opportunités possibles qui se présentent sur le court, moyen et long terme et équilibrer son portefeuille. A titre d’illustration, Sonatrach se dirige vers une adaptation des durées de ses engagements afin de tenir compte des nouvelles conditions de marché. Le spot reste aussi une alternative et un outil d’optimisation opérationnel et commercial.
El Djazair.com : La mise en œuvre de la politique nationale pour la promotion des énergies renouvelables ne peut se faire sans l’apport de Sonatrach. Quelle est justement la quote-part réservée à l’exploitation du gaz de schiste, sachant que cet ambitieux projet n’a pas laissé indifférentes les populations du sud du pays. Votre commentaire.
Toufik Hakkar : Si cette question fait référence aux énergies nouvelles, il y a effectivement lieu de citer l’exploitation du gaz de schiste en Algérie, une ressource qui n’est pas une énergie renouvelable, contrairement au solaire. Le programme identifié pourrait permettre de produire un volume annuel de 20 milliards de m3 de gaz à l’horizon 2030 et de créer 15 000 emplois directs ainsi qu’une industrie locale spécialisée dans la fabrication de proppants (agents de soutènement) et de filetage de tubulaires. Il s’agit d’une industrie complexe qui nécessite plusieurs conditions pour être viable à long terme telles que les capacités logistiques, la maitrise des coûts et la gestion des risques et impacts environnementaux. Nous continuons à réaliser les études nécessaires pour réunir toutes les conditions de succès au développement de ces ressources et à suivre attentivement les progrès technologiques liés à leur exploitation et à la prise en charge des enjeux environnementaux. Le passage à la phase d’exploitation ne peut être envisagé avant de pouvoir confirmer le potentiel et de s’assurer de la maitrise totale des opérations et des impacts environnementaux.
T. M.