Rachid Kerrar est le directeur général, fondateur des Laboratoires Beker ®. Il est diplômé en génie industriel de l’Ecole polytechnique de Montréal. En 15 ans d’expérience au Canada et aux USA, il aura occupé différents postes de responsabilités de direction en ingénierie pharmaceutique et en développement du médicament. En 2005, fort de son expérience et expertise acquise en technologie pharmaceutique, il décide de quitter ses fonctions en Amérique du Nord pour participer à créer les Laboratoires Beker® en Algérie. La mission fondatrice des Laboratoires Beker® était de développer et de produire en Algérie des produits pharmaceutiques génériques permettant l’accès aux patients algériens des molécules de dernière génération, fabriquées en conformité avec les meilleurs standards internationaux. Pari réussi, engagement tenu. « Au-delà de notre réussite propre en tant qu’entreprise, où des économies à l’importation sont réalisées pour le pays, notre apport le plus important, à nos yeux, est d’avoir démontré que tout ceci a été possible et n’a été réalisé qu’avec le concours de jeunes diplômés issus des universités algériennes », affirme-t-il dans l’entretien qui suit…
El Djazaïr.com : Monsieur le directeur général, vos laboratoires activent dans le domaine du médicament depuis 2004. En 2020, que peut-on dire de ces 14 ans d’activités ?
Rachid Kerrar : Comme vous le savez, les Laboratoire Beker® ont été créés en 2004. Notre premier produit a été commercialisé quatre ans après soit, en 2008. En 14 ans d’activité, on ne peut qu’être fiers du chemin parcouru puisque nous avons développé un portefeuille produits de plus de 160 médicaments de spécialité et d’hyper spécialité couvrant plusieurs gammes thérapeutiques en plus d’une gamme de compléments alimentaires 100% d’origine naturelle. Tous ces produits sont entièrement développés et fabriqués localement. Notons également que les Laboratoires Beker® enregistrent une croissance moyenne de 30% sur ses années ; ce qui nous a permis, dès 2016, d’entrer dans le Top 10 des laboratoires algériens toutes origines confondues, et de s’y maintenir. Durant ces quatorze ans, nous avons pu, grâce à l’implication de tout le monde, chacun à son niveau, mettre sur le marché des traitements génériques de molécules de dernière génération. C’est l’exemple des traitements révolutionnaires contre l’hépatite C dont l’accès aurait été quasi impossible au vu de leur prix faramineux. Nous avons, dans la lancée, développé une combinaison inédite de deux antiviraux anti-hépatite C qui permet le traitement de cette maladie quel que soit le génotype. Je pense que nous pouvons être fiers d’avoir été un des acteurs importants qui ont permis à notre pays le « rééquilibrage », observé ces 10 dernières années, du rapport de force dans ces négociations avec les grands groupes pharmaceutiques internationaux. Notre entreprise évolue sur plusieurs plans : la ressource humaine qui, aujourd’hui, compte plus de 550 collaborateurs ; la recherche et développement qui, régulièrement, enrichit nos gammes avec de nouvelles molécules ; et l’expansion des opérations avec de nouveaux équipements.Au-delà de notre réussite propre en tant qu’entreprise, où des économies à l’importation sont réalisées pour le pays, notre apport le plus important, à nos yeux, est d’avoir démontré que tout ceci a été possible et n’a été réalisé qu’avec le concours de jeunes diplômés issus des universités algériennes. Le niveau d’expertise métier atteint par nos techniciens, chimistes, pharmaciens, ingénieurs, biologistes n’a rien à envier à leurs homologues internationaux.
El Djazaïr.com : Et ce n’est assurément pas le fruit du hasard…
Rachid Kerrar : En aucun cas. Réussir l’excellence est une chose ; la pérenniser en est une autre. Cela demande d’ancrer cette exigence d’excellence dans le système organisationnel pour en faire un réflexe de tous les jours et dans toutes les tâches. L’innovation, pour nous, ce n’est pas seulement la technologie ; elle s’exprime aussi dans les méthodes et l’organisation du travail. Nous œuvrons donc sans cesse en interne à améliorer, à ajuster, à optimiser nos opérations pour veiller à se conformer à tous les niveaux aux valeurs de notre entreprise, à savoir : l’excellence, l’engagement et l’équité. C’est ainsi que tous les collaborateurs œuvrent à appliquer l’excellence à tous les niveaux. Au-delà de l’excellence de la relation avec nos partenaires et le patient par la mise à disposition du produit et du service répondant à leur exigence, l’excellence c’est aussi celle de la relation entre employés dans nos interactions quotidiennes. Relation empreinte d’exigence professionnelle, de bienveillance et de considération permettant à tous d’œuvrer au mieux et répondre aux standards de qualité exigée dans un environnement valorisant et épanouissant. Un engagement sans faille de nos collaborateurs, qui portent le savoir-faire Beker®, avec compétence et fierté. Des équipes 100% algériennes, performantes, passionnées, pluridisciplinaires bénéficient d’une formation continue d’excellence au sein même de notre structure. Tel est notre engagement envers eux tout en leur offrant des avantages sociaux et d’accompagnement pour leur développement personnel et professionnel. Une exigence d’équité à l’ensemble des collaborateurs. Nous veillons à réunir les conditions nécessaires afin qu’ils bénéficient d’un cadre agréable et sain où se mêlent respect et justice pour d’égales opportunités. Selon les CV répondant aux besoins de notre industrie, nous recrutons des collaborateurs sortant des universités algériennes ou issus de la formation professionnelle, et garantissons une formation complémentaire pour améliorer leurs performances métier. Nous permettons également aux jeunes diplômés ou en cours d’études de suivre des stages nécessaires à leur cursus avec des possibilités de postes d’emploi selon circonstance.
El Djazaïr.com : L’industrie pharmaceutique, contrairement aux années précédentes, dispose d’un département ministériel à part entière et c’est un ancien pharmacien Lotfi Benbahmed qui a été nommé à sa tête. Que peut-on comprendre par là ?
Rachid Kerrar : Pour nous, c’est un signal fort de nos autorités pour promouvoir le développement de cette industrie. C’est une décision clairvoyante et visionnaire dictée, je pense, par la convergence de différents objectifs :
-La crise sanitaire due au Covid-19 a démontré l’importance stratégique et même vitale que revêt l’industrie pharmaceutique pour un pays. Il est, de ce fait, primordial que nous continuions à développer une indépendance technologique et industrielle pour notre sécurité sanitaire. Nous avons constaté que tous les pays ont réalisé qu’il était nécessaire de relocaliser ou, du moins, diversifier géographiquement les sources d’approvisionnement. Notre industrie doit se positionner comme une alternative sérieuse et fiable. Il y a bien sûr le potentiel d’export vers l’Afrique mais pas seulement. Nous pouvons et devons ambitionner de devenir un hub pharmaceutique international et nous avons un potentiel à l’export important, pour ce faire.
Sur le plan économique, l’industrie pharmaceutique est génératrice d’économies importantes à l’importation et sur le plan social, elle est génératrice d’emploi de haute technicité.
Les investissements et capacités en termes d’usines installées en Algérie sont importants. Je pense que l’on doit être le pays d’Afrique qui en a le plus. Il s’agit d’usines de qualité, répondant aux standards internationaux. L’outil est donc là, mais force est de constater qu’il est sous-utilisé et le pays ne profite pas pleinement du formidable potentiel qu’il représente. Maintenant, sur le plan organisationnel, il se trouve qu’historiquement, l’industrie pharmaceutique, en Algérie, est née de l’importation / distribution de produits finis. L’industrie s’est développée sur un système administratif conçu à l’origine pour ces activités aval. L’amont, c’est à dire le développement et la production pharmaceutique industrielle, est d’une autre nature.
L’essor de l’industrie pharmaceutique dépend d’une multitude de facteurs qui doivent être coordonnés et mis en cohérence pour atteindre les ambitions que l’on s’est donnés. Il y a bien sûr l’aspect règlementaire, de contrôle et régulation de la responsabilité pharmaceutique, mais il y a aussi des aspects de stratégie industrielle qui, à notre sens, sont importants pour un réel essor. Je prendrai l’exemple de l’aspect brevets et propriété intellectuelle. Il est important que les négociations pour l’adhésion au système international défendent nos intérêts et nos valeurs. Sans ce type de négociation avisée l’Inde n’aurait pas pu être leader mondial dans la production pharmaceutique qu’elle est aujourd’hui.
On pourrait parler aussi de la fluidité logistique à organiser, pour une industrie qui travaille avec des produits sensibles et périssables ou encore, l’arsenal juridique et règlementaire régissant les opérations d’exportation.
Sur le volet de l’innovation, je soutiens que nos universités regorgent de scientifiques de haut niveau en mesure de mener des projets de recherches fondamentales. Il s’agit pour nous de penser les mécanismes et l’environnement qui permettraient de traduire ce savoir-faire en innovation technologique et industrielle. Et il est temps, aujourd’hui, d’aller au-delà des éternels discours sur les « ponts ou passerelles entre universités et entreprises », qui sont des vœux pieux mais sans articulation pratique et concrète. Un outil important, par exemple, est d’ordre fiscal. Il y a aujourd’hui compétition à l’international entre les places pour attirer les investissements de recherche. Ces différentes places sont classées notamment en fonction des mesures fiscales (incitatives) encourageant les travaux de recherche. La fluidité logistique déjà évoquée est aussi ici déterminante. Ce ne sont là que quelques-uns des aspects, et il y en a bien d’autres, qui, à mon sens, dicteront le destin de l’industrie pharmaceutique en Algérie.
Il y a des réflexions à mener et des arbitrages à faire de manière stratégique et clairvoyante dont on ne peut faire l’impasse.
Tout ceci pour dire que l’essor de l’industrie pharmaceutique tel que nous l’ambitionnons dépend de multiples facteurs. Qu’un ministère soit créé et dédié à coordonner et à mener tous ces chantiers est donc une excellente chose.
El Djazaïr.com : Les Laboratoires Beker® se sont bâti une solide réputation d’excellence. Quels sont vos objectifs à venir ?
Rachid Kerrar : Nous aspirons à être une référence du médicament générique. Ceci se traduit par l’innovation et le développement de nouvelles gammes thérapeutiques afin de répondre aux besoins des prescripteurs et des patients suivant la progression de la médecine dans le monde et permettre au patient algérien d’avoir accès aux traitements répondant aux dernières recommandations des sociétés savantes internationales. Nous travaillons également sur des projets qui, à notre sens, sont très potentiels et qui ont trait cette fois non pas au produit, mais au procédé de fabrication. Par ailleurs, la crise de la Covid nous a confortés dans une intuition que nous avions déjà et qui est celle du formidable potentiel du travail de recherche et développement à mener sur le repositionnement de molécules existantes pour des pathologies encore non traitées. Nous avons commencé ce travail pour la Covid19 pour laquelle nous proposons le repositionnement des antiviraux à action directe ainsi que des produits d’inhalation anti viraux et anti inflammatoires, de notre propre innovation ; et nous comptons bien, à l’avenir, continuer ce type de travail de recherche.
L’augmentation de nos capacités de production et le développement de nouvelles formes dont le stérile sous ses différentes formes.
Etendre notre présence à l’internationale. Nos produits répondent aux standards et exigences internationaux et font l’objet d’intérêt pour plusieurs pays. Nous exportons ainsi nos produits finis comme nous mettons à disposition notre savoir-faire selon les besoins et intérêts de nos clients partenaires étrangers. Notre objectif est de proposer à plus de patients à travers le monde un accès à des médicaments fiables, efficaces et à un coût accessible.
T. M.