Le Conseil d’Etat garant des droits et des libertés publiques

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Mesdames et Messieurs, Permettez-moi tout d’abord de remercier tous ceux qui ont participé de près ou de loin à l’organisation de ce colloque international. Sans oublier, particulièrement, monsieur le doyen Didier Baisset, d’avoir invité les magistrats du Conseil d’Etat à participer aux travaux de ce colloque, tout en lui faisant part cordialement des amitiés de Madame la Présidente du Conseil d’Etat qui nous souhaite plein succès dans nos travaux.

Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d’abord de remercier tous ceux qui ont participé de près ou de loin à l’organisation de ce colloque international. Sans oublier, particulièrement, monsieur le doyen Didier Baisset, d’avoir invité les magistrats du Conseil d’Etat à participer aux travaux de ce colloque, tout en lui faisant part cordialement des amitiés de Madame la Présidente du Conseil d’Etat qui nous souhaite plein succès dans nos travaux.

L’exposé qui va suivre me donne l’occasion, par la référence à des arrêts du Conseil d’Etat, de faire un bilan de l’état des lieux en matière de respect des droits et des libertés.

Je voudrais également en quelques mots vous présenter le Conseil d’Etat algérien, institué par l’article 152 de la Constitution du 16 novembre 1996.

Il est l’organe régulateur de l’activité administrative, assure également l’unification de la jurisprudence à travers le pays et veille au respect de la loi.

Les missions du Conseil d’Etat ont été prévues par la loi organique n° 98.01 du 30 mai 1998.

Le Conseil d’Etat, qui est rattaché au pouvoir judiciaire, est doté de deux missions, l’une classique juridictionnelle et l’autre consultative, son avis est obligatoirement requis pour tout projet de loi. Une société est dite démocratique lorsqu’elle consacre dans la norme et dans les faits le respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, l’égal accès au pouvoir et son exercice dans le respect de la primauté du droit.

La démocratie n’est pas le règne du nombre, mais du droit, pour reprendre la citation du professeur Gurvitch.

En Algérie, aussi bien la Constitution de 1989, qui fait référence à la primauté du droit et au pouvoir judiciaire, que la Constitution du 16 novembre 1996, qui comporte plusieurs spécificités que l’on ne trouve généralement pas ailleurs, tout en renforçant la protection des droits et des libertés publiques.

La première spécificité : tient à une absence que l’on peut dire heureuse : la plupart des lois fondamentales présentent le président de la République comme garant de l’indépendance de la magistrature : il faut se féliciter de cette absence.

La deuxième spécificité : il est précisé que c’est le premier président de la Cour suprême (l’équivalent de la cour de cassation française) qui préside le Conseil supérieur de la magistrature lorsqu’il statue en matière disciplinaire.

La troisième spécificité : en matière de nomination, de mutation et de déroulement de la carrière des magistrats, le Conseil a un pouvoir de décision, alors qu’ailleurs il est souvent évoqué seulement le droit de donner un avis.

I- Le Conseil d’Etat et l’exercice des libertés publiques

Il faut distinguer entre les libertés juridiquement protégées ou définies et celles non définies et qui s’apparentent à de simples tolérances administratives.

Les libertés protégées, liberté de presse, d’association de culte, de conscience ou syndicale, sont garanties par la Constitution ou la loi.

Toutes atteintes à ces libertés par l’administration ne pourra être que restreinte et commandée par les nécessités du maintien de l’ordre public.

L’autorité de police chargée du maintien de l’ordre public dispose du pouvoir de réglementer l’exercice des activités susceptibles de troubler cet ordre, mais il faudra qu’elle le fasse légalement.

Dans ce cas, le juge administratif, saisi soit par la voie du recours pour excès de pouvoir, soit en réparation, aura pour mission de rechercher :

– que l’intervention de la police n’est justifiée que par des considérations d’ordre public.

-qu’il y a une proportionnalité stricte entre la menace réelle de l’ordre public et la mesure de police destinée à y remédier.

Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 14 février 1993 « Y c/Ministre de l’intérieur » a eu l’occasion de dire que la notion d’ordre public est une notion relative et forcément conjoncturelle et que le trouble à l’ordre public ne peut être apprécié en 1992 selon des critères admis en 1967.

Qu’en l’espèce, l’appartenance à un parti alors interdit ne peut être aujourd’hui interprétée comme un risque de trouble à l’ordre public, eu égard à la consécration du multipartisme.

Le contrôle du juge de l’excès de pouvoir s’est encore affiné grâce à la théorie de l’erreur manifeste d’appréciation chaque fois que l’administration dispose en la matière d’un pouvoir discrétionnaire, en dehors de toutes dispositions légales. Dans le domaine de la fonction publique par exemple par le contrôle de la proportionnalité de la sanction à la faute qualifiée.

Je citerai le recours pour excès de pouvoir fait par un magistrat contre une décision de révocation prononcée par le Conseil supérieur de la magistrature.

Le Conseil a souligné la disproportion entre la sanction et les faits reprochés.

II – Le Conseil d’Etat garant des droits et des libertés individuelles

Le mécanisme de garantie de l’Etat de droit et des libertés publiques repose sur la justice.

L’efficience de l’Etat de droit découle de l’existence d’une panoplie de procédures et de recours appuyées sur des institutions à même de rétablir le justiciable dans son droit et d’être indemnisé le cas échéant. C’est le cas de la protection de la propriété privée, l’article 20 de la Constitution, l’expropriation ne peut intervenir que dans le cadre de la loi. Elle donne lieu à une indemnité préalable, juste et équitable. Aux termes des dispositions de l’article 677 du code civil, nul ne peut être privé de sa propriété que dans le cas et conditions prévus par la loi.

Toutefois, l’administration peut prononcer l’expropriation d’immeubles en tout ou en partie ou de droits réels immobiliers pour cause d’utilité publique, moyennant une indemnité juste et équitable.

La loi no 91-11 du 27 avril 1991 fixant les règles relatives à l’expropriation pour cause d’utilité publique, dans son article 21, dispose le montant des indemnités d’expropriation doit être juste et équitable, il doit couvrir l’intégralité du préjudice causé par l’expropriation.

Par une jurisprudence constante, le Conseil d’Etat ne s’est pas contenté de veiller au respect par l’administration expropriante de la procédure, mais recherche également l’effectivité de l’utilité publique du projet envisagé et s’il répondait réellement à un besoin général et non à des intérêts privés.

C’est ce qui a été jugé à l’occasion de l’annulation d’un arrêté du wali (préfet) portant expropriation pour cause d’utilité publique d’un projet de construction d’une route.

Le Conseil d’Etat considère qu’il résulte du rapport d’expertise, que l’expropriation projetée ne répond à aucun besoin d’intérêt général. Dans une autre affaire, le Conseil d’Etat a jugé qu’il résulte du rapport de la commission d’enquête prévue par l’article 3 de la loi no 91-11 que la commune de Kouba est propriétaire d’immeuble pouvant recevoir le projet envisagé il n’y a pas lieu d’exproprier le mis en cause.

Mais le domaine où le Conseil d’Etat garant de la propriété privée est appelé à jouer pleinement son rôle est sans conteste celui de la voie de fait.

Chaque fois qu’un acte de l’administration ou un agissement consiste en une mesure manifestement insusceptible de se rattacher à l’application d’un texte législatif ou réglementaire ou qu’il porte atteinte au droit de propriété ou à une liberté fondamentale, il y a voie de fait.

Le Conseil d’Etat a eu à contrôler les motifs pour lesquels le wali d’Alger demandait la dissolution d’une association, en rejetant ces motifs comme insuffisants au regard de la loi relative aux associations. Garant de la liberté de circulation le Conseil d’Etat a annulé la décision du ministre de l’Intérieur en date du 2 décembre 1980, interdisant au sieur X l’entrée sur le territoire national.

Le ministre soutenait que le mis en cause a eu un comportement indigne durant la révolution de libération nationale, et par conséquent ayant perdu ses droits civils et politiques.

Le Conseil d’Etat considère que le sieur X justifie de sa nationalité algérienne par la production d’un certificat en date du 2 juin 2007; qu’en application de l’article 44 de la Constitution, tout citoyen jouissant de ses droits civils et politiques a le droit de choisir librement le lieu de sa résidence et de circuler sur le territoire national. Le droit d’entrée et de sortie du territoire national est garanti ; que le mis en cause n’a pas fait l’objet d’un décret de déchéances de ses droits civils et politiques ; et qu’en vertu du pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par les Nations unies en son article 12-4 et auquel l’Algérie a adhéré par décret présidentiel no 89-67 du 16 mai 1989, nul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays; que la décision prise par le ministre de l’Intérieur, sur la base d’exigence d’ordre public, sans que cela soit justifié, est entachée d’illégalité et doit être annulée.

Nous citerons un autre cas opposant le sieur B au ministre des Anciens moudjahidine statuant sur la décision déférée qui tend à échoir le mis en cause de sa qualité de membre (ancien combattant), le Conseil d’Etat considère que la décision ne constitue ni plus ni moins qu’une sanction, dans la mesure où elle prive le requérant des droits attachés à cette qualité.

Qu’une telle mesure ne peut légalement intervenir sans que le mis en cause eût été mis à même de discuter les griefs formulés contre lui, qu’il y a lieu de l’annuler.

Le Conseil d’Etat a eu, à maintes reprises l’occasion de rappeler le principe du droit de la défense, dans un arrêt du 19 novembre 1995 opposant « X » contre le ministre de l’Intérieur ; Attendu qu’en l’espèce la commission de recours s’est réunie en l’absence pourtant justifiée du requérant, sans lui avoir préalablement communiqué le dossier et sans l’inviter à se faire éventuellement assister d’un Conseil ; que sa décision est entachée d’illégalité, il y a lieu de l’annuler.

Conclusion :

Le Conseil d’Etat joue un grand rôle dans la consécration des droits et libertés, son contrôle est devenu effectif, avec la promulgation du nouveau code de procédure civile et administrative du 25 février 2008, qui contient des dispositions nouvelles avec notamment le référé liberté article 920 qui permet au juge des référés d’ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde des libertés fondamentales auxquelles des personnes de droit public, auraient porté atteinte, dans l’exercice de leurs pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le référé en matière de passation des contrats et marchés prévu par l’article 946, le juge administratif peut être saisi par requête en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des contrats administratifs et des marchés publics. Concernant l’exécution des décisions de justice l’article 981 dispose qu’en cas d’inexécution d’une ordonnance, d’un jugement ou d’un arrêt la juridiction saisie peut impartir un délai d’exécution et prononcer au besoin une astreinte.

La loi de 1990 contient des dispositions contraignantes d’exécution des décisions portant condamnation pécuniaire de l’administration. Le législateur est allé plus loin en insérant dans le code pénal une disposition pénale, l’article 138 bis, qui prévoit qu’un fonctionnaire qui refuse d’exécuter une décision de justice est passible d’une peine de 6 mois à 3 ans

Par Kamel Fenniche

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