En droit et plus encore en droit fiscal, « la preuve est la clé du succès ». L’importance de la preuve n’a-t-elle pas été soulignée par Omar Ibn-El Khatab dans sa lettre à Abou Moussa El Achaari?
Les problèmes de preuves sont au cœur des relations entre l’administration fiscale et les contribuables. Mais que faut-il entendre par le vocable preuve?
La preuve est un mécanisme destiné à établir une conviction sur un point incertain.
Dans un sens large, la preuve en droit est la démonstration tendant à convaincre de la réalité d’une situation.
La question de la charge de la preuve est tellement importante qu’en droit français le Conseil constitutionnel décide que les règles de réévaluation de la charge de la preuve relèvent du domaine législatif.
Le Conseil constitutionnel a posé le principe selon lequel « la détermination de la charge de la preuve affecte les droits et obligations des contribuables » et met ainsi en cause les règles relatives à l’assiette au taux et aux modalités de recouvrement des impositions que par suite elles sont du domaine de la loi. Conseil constitutionnel 212 -1980 n° 80-119 L.RDP 1981.
Le régime juridique de la preuve en droit fiscal doit tenir compte d’un élément essentiel : l’Etat de droit.
Les Etats se réclamant de l’Etat de droit ont vu se développer dans le domaine fiscal la recherche d’une meilleure garantie des droits du contribuable.
Ainsi le droit fiscal n’exprime plus avec la même vigueur les caractères de puissance publique qui, traditionnellement, étaient les siens, et si la nécessité du prélèvement continue à fonder, elle se trouve davantage circonscrite dans une protection élargie des droits des contribuables.
Le droit fiscal, longtemps perçu comme un droit arbitraire, puis autoritaire, ne pouvait résister au mouvement social de l’émergence à l’échelle planétaire de la culture des droits de l’Homme. N’a-t-on pas parlé des droits de l’Homme fiscalisé ?
Le changement des termes visant à qualifier le contribuable d’« usager » ou « client » par certaines législations fiscales, témoigne de l’amélioration des rapports administration-contribuable.
Le système fiscal algérien est pour l’essentiel un système déclaratif basé sur le dépôt spontané par les contribuables de leurs déclarations.
La charge de la preuve est une question relativement difficile en droit fiscal, il est important d’évoquer les principes de la charge de la preuve dans une première partie et de se référer aux décisions jurisprudentielles du Conseil d’Etat algérien pour les situations les plus complexes dans une deuxième partie.
I- Les principes de base de la charge de la preuve
Le choix du système déclaratif, voulu par le législateur algérien, exige la reconnaissance d’une charge de la preuve reposant sur l’administration fiscale, fondée sur la présomption d’exactitude de la déclaration.
Le lien entre la présomption d’exactitude de la déclaration et la charge de la preuve est reconnu de la manière la plus expresse par le Conseil d’Etat algérien.
Il a été jugé que l’administration qui veut imposer le contribuable sur des bases différentes de celle résultant d’une déclaration souscrite dans les formes et délais légaux doit prouver que la déclaration est inexacte.
L’administration peut être appelée à demander des précisions au contribuable sur certains éléments mentionnés dans sa déclaration de revenus (situation et charges de famille, charges déduites du revenu global) ; dans ces conditions, la taxation d’office prévue à l’article 44 du code de procédure fiscale n’est pas applicable, mais en cas de litige concernant la réalité des éléments susvisés, la charge de la preuve incombe au contribuable.
Le bénéfice de la présomption d’exactitude de la déclaration, et de son corollaire l’attribution de la charge de la preuve à l’administration fiscale, reste conditionné par le respect du contribuable de ses obligations déclaratives et comptables.
Il y a également transfert de la charge de la preuve, lorsque l’administration fiscale est soumise au respect de certaines formalités et que le contribuable soutient que ces règles de forme ou de procédure n’ont pas été observées. C’est à l’administration par exemple d’établir qu’elle a mis le contribuable à même de préserver ses droits. La déclaration engage le contribuable et les termes de sa déclaration sont tenus pour vrai, contre celui-ci. À cet égard, la déclaration constitue pour le fisc une véritable preuve qui peut être opposée au contribuable.
Par exemple, la sous-évaluation d’un immeuble acquis peut se retourner contre le contribuable en cas d’expropriation pour cause d’utilité publique.
La preuve peut également être à la charge des deux parties ; il existe de nombreuses situations ou le problème de la preuve doit être décomposé, l’une des parties ayant la charge de la preuve sur certains points et la seconde sur d’autres ; il appartient au juge de bien analyser chaque affaire avant de se prononcer.
Par exemple, lorsque le litige porte à la fois sur la nature des biens compris dans une cession et sur l’évaluation du profit imposable résultant de cette cession, la charge de la preuve peut incomber à l’une des parties sur le premier point (nature des biens) et à l’autre partie sur le second (évaluation du profit).
La charge de la preuve est une question relativement difficile en droit fiscal. Il faut souligner que la charge de la preuve est en partie dépendante de la procédure d’imposition suivie. Si les grands principes ont été évoqués, il convient de se référer aux décisions jurisprudentielles du Conseil d’Etat, qui ont marqué le contentieux fiscal.
II- Le rôle actif du Conseil d’État dans la charge de la preuve
S’il est un domaine où le juge peut et doit jouer un rôle important, c’est bien celui de la charge de la preuve dans le contentieux fiscal. Le vrai problème auquel est quotidiennement confronté le juge est celui de la situation parfois inégale que les textes fiscaux créent souvent entre l’administration fiscale, généralement en position de force, et le contribuable.
A) Sur l’absence de la réclamation contentieuse
Dans sa requête d’appel, M. « Y » demande la décharge de l’imposition d’impôt sur le revenu à laquelle il a été imposé au titre de l’année 2001 et critique le jugement par lequel le tribunal administratif d’Oran a rejeté sa demande pour défaut de réclamation préalable prévue par l’article 70 du code de procédure fiscale.
Le Conseil d’Etat estime qu’il résulte des dispositions de l’article 70 combinées avec l’article 71 du code de procédure fiscale que la demande en décharge d’une imposition n’est recevable devant le tribunal que si elle a été précédée d’une réclamation contentieuse adressée au directeur des impôts compétent.
Le Conseil d’Etat constate que le requérant prétend qu’il a adressé en 2002 une réclamation dirigée contre cette imposition tout en présentant la copie d’une lettre qu’il avait adressée au directeur des impôts et ne produit aucun autre document tel qu’une pièce émanant des services postaux de nature à justifier l’envoi ou la mention du visa de l’administration sur sa réclamation.
Le Conseil d’Etat considère que la charge de la preuve lui incombe pour justifier l’envoi de la réclamation et que par conséquent c’est à bon droit que le tribunal a rejeté sa demande comme irrecevable.
B) Sur la nature juridique du jugement dont appel
Il a été jugé par le Conseil d’Etat que la charge de la preuve incombe à la partie qui soutient ne pas avoir été avisée de la date d’audience au tribunal administratif, alors que cette mention figure dans les visas du jugement dont appel, de démontrer que cette mention est inexacte.
Les mentions d’un jugement font foi jusqu’à preuve du contraire.
C) La position du Conseil d’Etat et le piège de la taxation d’office
L’article 44 du code de procédure fiscale prévoit sept cas dans lesquels la taxation d’office est mise en application par l’administration.
Cette taxation d’office se caractérise essentiellement par deux traits.
– L’imposition est établie par l’administration fiscale en marge de toute procédure contradictoire.
– Le contribuable perd le bénéfice de la présomption d’exactitude attachée à sa déclaration quand même le dernier alinéa de l’article susvisé lui permet d’apporter la preuve de l’exagération de son imposition devant le juge, c’est-à-dire le juge de l’impôt, le service doit notamment être en mesure d’apporter la preuve que le contribuable était bien dans la situation d’être imposé d’office.
À mon avis, cet article n’instaure pas un véritable débat contradictoire entre le vérificateur ou l’inspecteur, d’une part, et le contribuable, d’autre part, avant d’arrêter les bases d’imposition.
S’il est vrai que cette taxation d’office sanctionne une faute du contribuable, elle est néanmoins appréciée unilatéralement par l’administration.
Que dire du cas du rejet de la comptabilité, décision grave de conséquences, puisqu’elle permet de procéder à la taxation d’office, c’est-à-dire à l’évaluation d’office des bases d’imposition du redevable.
Alors même que la jurisprudence du Conseil d’Etat a fait preuve d’un certain libéralisme tiré de l’inégalité entre les parties qui caractérise l’instance, il considère que certains éléments de la comptabilité peuvent être retenus malgré des erreurs.
(A suivre)
Par Kamel Fenniche